mercredi 1 mai 2024

Soleil Rouge sur Berlin

 


Espérer, désespérer, espérer encore… L’espoir plus fort que la douleur, la dépression, le doute.  Dans les derniers jours de sa vie, Charles Baudelaire écrivit encore ces mots d’espoir.  Car les grands poètes ont toujours raison, en fin de compte, désespérer c’est ne pas avoir totalement, définitivement renoncé.

 

Durant la deuxième guerre mondiale, où tant d’hommes et de femmes furent déplacés de force loin de chez eux, des histoires d’amour véritables mais improbables virent le jour. Ainsi deux êtres que tout séparait, la langue, les origines, la culture, furent sauvés par leur rencontre imprévisible au bord de la rivière Warta.  Ils furent comme foudroyés l’un et  l’autre par un sentiment irrésistible, une attirance mutuelle hors du commun. Durant toute la guerre, l’amour fut leur bouée de sauvetage, leur absolue clarté dans la nuit et le brouillard, alors qu’ils étaient entourés de barbelés, cernés par les soldats qui les gardaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre du haut de leurs miradors, prêts à tirer à vue et à lancer sur eux leurs chiens hurlants en cas de tentative d’évasion.

 

(extrait de l'avant-propos de Soleil Rouge sur Berlin, Editions Sud-Ouest, mai 2024

jeudi 27 janvier 2022

Le problème Spinoza d'Irvin Yalom


J’avais gardé de Spinoza l’image prestigieuse que notre professeur de philosophie nous avait projetée pendant ses cours. Je me souvenais qu’il avait été un précurseur des Lumières mais j’ignorais tout de sa révolutionnaire attitude, en tant que juif, qui lui a valu dans la Hollande du XVIIème siècle d’être l’objet d’un « herem » autrement dit d’une excommunication au sein de la communauté juive. La primauté de la raison, le refus d’admettre et de perpétuer les fables et légendes imposées par les rabbins, mais aussi par les autres religions monothéistes, notamment par le christianisme.

 

Le tour de force d’Irvin Yalom est d’avoir raconté un peu de la vie de Spinoza et beaucoup de ses positions philosophiques si offensantes pour son époque, à travers un roman extraordinairement bien conçu, et passionnant malgré quelques passages un peu arides, où il fait apparaître dans un récit parralèle l’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg qui fut chargé de faire main basse sur les biens juifs des territoires occupés par Hitler, et en particulier… sur la bibliothèque de Spinoza.

 

La Genèse du roman est elle-même fascinante. L’auteur explique comment il a découvert ce qu’était devenue cette bibliothèque et dans quelles conditions les nazis s’en étaient emparés. Irvin Yalom, en tant que psychanalyste, écrit de superbes pages à travers des dialogues imaginaires où il met en scène ses personnages. Du grand art, un merveilleux moment de lecture et de découverte.



lundi 1 novembre 2021

Chevreuse de Patrick Modiano

 


Le dernier Modiano se déguste comme un étrange polar. On  retrouve l'atmosphère unique, impalpable qui a fait le triomphe et la gloire du prix Nobel de Littérature 2014 à travers la plupart de ses romans. On y constate cette aptitude incroyable de promener le lecteur sur un espace géographique qui n'excède pas les limites de la grande couronne parisienne, bien souvent, en l'occurence ici la vallée de Chevreuse, où l'air est plus frais qu'à Paris selon l'auteur. Sa connaissance de chaque rue, de chaque carrefour, de chaque monument de la capitale, est fascinante. Pour s'aventurer jusqu'à la vallée de Chevreuse, il fallait inventer une sacrée histoire. Modiano l'a donc rêvée cette histoire et il l'a écrite. Sublimement.

Le découpage du temps est tout à fait caractéristique de sa manière d'écrire et de recomposer la mémoire. Il y a trois époques où le personnage principal du roman, un certain Jean Bosmans (déjà apparu dans d'autres romans de Modiano comme Horizon) noue les fils de son histoire. On se promène donc d'une époque à une autre, quand le héros du livre avait cinq ans, puis quand il en a eu vingt, puis cinquante ans plus tard, cela nous ramène visiblement aux années actuelles.

Le style Modiano c'est la capacité de ménager des zones d'ombre, d'épaissir le mystère au fil des pages, de titiller le lecteur qui s'attend à découvrir une fracassante vérité. Mais le roman reste toujours en demi-teintes, en approximation sur la vérité qui ne peut être révélée.

Les fins connaisseurs de l'oeuvre de Modiano ont bien sûr décrypté Chevreuse, qui selon certains évoque un autre roman célèbre de l'auteur, paru en 1991, sous le titre Remise de peine. On y a reconnu Modiano enfant, jouant avec son jeune frère dans une maison de Jour-en-Josas. Les parents ne pouvant s'en occuper à temps plein confiaient leurs deux garçons à quelques femmes qui habitaient aussi dans le même quartier. Ambiance villageoise. L'enfant Modiano avait ainsi eu l'occasion de côtoyer des gens  au demeurant peu recommandables.

Dans Chevreuse beaucoup de noms défilent, comme celui de Rose-Marie Krawell que le héros ne rencontre qu'à la fin du roman, loin de la vallée de Chevreuse, puisque cela se passe à Nice.

Le tour de force de Patrick Modiano est d'arriver à rendre universelle une histoire autobiographique. Un court passage du roman suffit à le démontrer: "À cette époque, il n’avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu’il croisait et aux rues une très vive phosphorescence. Puis, peu à peu, en vieillissant, il avait remarqué que la lumière s’était appauvrie ; elle rendait désormais aux gens et aux choses leurs vrais aspects et leurs vraies couleurs – les couleurs ternes de la vie courante."  On ne peut pas mieux décrire le désenchantement d'un adulte vieillissant qui ne retrouvera jamais son enfance.