dimanche 24 juin 2018

Souvenirs involontaires de Madeleine Chapsal


Agée de 93 ans, Madeleine Chapsal publie ses « souvenirs involontaires », référence clairement proustienne. C'est un livre qui évidemment s'imposait tant son long parcours est riche de rencontres, où l'on croise en premier lieu « l'homme de sa vie » Jean-Jacques Servan-Schreiber mais aussi tant d'autres grands noms de la littérature, du cinéma, des médias : Françoise Giroud bien sûr, Françoise Dolto, André Malraux, Jérôme Lindon, et bien d'autres encore.

J'ai connu moi-même Madeleine Chapsal, en tant que marraine de « Lire à Limoges », un rendez-vous qui lui tenait à cœur chaque année, elle qui est restée si fière de ses racines limousines, notamment de ce grand-père, tailleur de granit à Eymoutiers, véritable artiste appliqué à sculpter d'admirables pierres tombales y compris la sienne.

J'ai aimé le ton de ces mémoires, empreintes de sincérité, où l'on apprend notamment comment cette journaliste est devenue un jour écrivain, au terme d'une longue psychanalyse sans laquelle, cela « ne serait pas arrivé », selon elle.

Madeleine Chapsal réserve évidemment une place à part à François Mitterand, qu'elle voyait souvent, et jusqu'à la fin de sa vie, et qui lui a confié un jour : « vous vous rendez compte de ce que vous avez fait pour les femmes ? Avec vos écrits, vos livres », phrase qui fait référence à l'engagement de l'auteur des « souvenirs involontaires » pour la libération de la femme à travers une œuvre prolifique ( plus de cent ouvrages, romans et essais confondus) et un best-seller reconnu «  La maison de Jade ».

Sur le plan amoureux aussi, la vie de Madeleine Chapsal est particulièrement riche et mouvementée, et bien sûr ces mémoires viennent éclairer la relation tendue avec Françoise Giroud, qui fut la maîtresse de son mari, et avec laquelle elle règle quelques comptes, mais en conservant toujours une certaine retenue...

On passe un excellent moment à lire ces lignes, qui racontent la vie d'une femme écrivain libre, amoureuse souvent, qui a connu tant de ruptures et de nouveaux départs... Et qui a su faire, avec brio, le grand écart entre ses racines paysannes et sa vie parisienne dans les milieux les plus huppés.

vendredi 15 juin 2018

Avec toutes mes sympathies d'Olivia de Lamberterie



Olivia de Lamberterie, la reine incontestable de la critique littéraire sur France 2, m'a fait découvrir des livres passionnants. Récemment, par exemple, ceux de talents reconnus comme Philippe Jaenada, mais aussi des nouveaux venus comme Frank Bouysse, un jeune auteur de polars inspiré par la ruralité, et je pourrais en citer bien d'autres. J'aime ses chroniques vivantes, sensibles, chaleureuses, qui ont le don de captiver son public, de l'étonner.

En racontant les circonstances du suicide de son frère Alex, survenu le 14 octobre 2015 à Montréal, Olivia de Lamberterie a traversé le miroir du petit écran. La journaliste a choisi de se muer en écrivain pour évoquer cette douloureuse épreuve et il en ressort un témoignage puissant et pathétique qui m'a sincèrement ému et même bouleversé. Pas facile de mettre des mots sur la douleur que peut susciter un tel drame familial, ni de faire partager hors de toute sensiblerie l'incompréhension, la révolte, le désordre intérieur qu'un tel événement peut susciter. Pas facile de trouver le ton juste dans l'écriture, de marcher ainsi sur un fil en permanence en essayant de démêler les causes d'un acte désespéré, tout en prenant le lecteur à témoin. Et pourtant par un style aussi vivant que ses propos à la télé, fait de phrases courtes et incisives, parsemé d'expressions drôles, de références au cinéma, à la chanson, aux écrivains bien sûr, aux réseaux sociaux, l'auteur excelle dans l'exercice pourtant périlleux auquel elle s'est livrée avec courage, lucidité, audace aussi.

Le livre est écrit à fleur de peau. C'est avant tout un superbe geste d'amour. On revit le drame familial avec l'évocation des moments heureux ( les beaux étés de Cadaquès et de la Croix Valmer) et aussi les heures noires de ce frère si instable, qui avait déjà voulu mettre fin à ses jours à plusieurs reprises, avant de se jeter du haut du pont Jacques-Cartier à Montréal. On comprend que les médecins, en particulier les psychiatres, auxquels le désespéré a pu se confier, n'ont pas été pour la plupart à la hauteur, c'est en tous cas le ressenti d'une sœur aimante, écœurée par tant d'incompétence.

La vie d' Alex, qui nous est ainsi exposée, présentait pourtant toutes les apparences de la réussite sociale, professionnelle et familiale, même s'il y a forcément une part d'inconnu qu'une vie recèle, laquelle échappe même aux membres les plus proches de sa famille ou à ses amis intimes. Une photo d'enfance, prise sur une plage de sud de la France et transmise un jour via Internet à sa sœur, nous montre le bonheur de vivre de deux enfants épanouis à qui rien ne pouvait arriver de mauvais, c'est la couverture du livre. Et puis un jour tout bascule. Quand, comment, pourquoi, Olivier de Lamberterie s'efforce sans y parvenir vraiment à expliquer l'inexplicable.

L'auteur nous rappelle que le choix de son titre « avec toutes mes sympathies » lui a été inspiré par le sens de « sympathy » en anglais qui signifie « condoléances » et qui renvoie à la célèbre bourde de Françoise Sagan, lors d'une séance de dédicaces à New-York. Un écrivain phare pour l'auteur de ce témoignage si poignant.

Faire son deuil malgré tout, et d'une manière qui une fois encore va étonner le lecteur, et réussir en même temps à se remettre en selle, à reprendre « le métro de la vie », c'est la leçon finale, sublime, délivrée au terme de ce récit tout à fait exceptionnel. Olivia de Lamberterie excelle, on l'a déjà souligné, dans la critique littéraire, elle vient de faire la preuve qu'elle est aussi un écrivain qui met d'emblée la barre très haut, ouvrant une nouvelle voie , de nouveaux horizons à son magnifique talent.

vendredi 8 juin 2018

Le fleuve de la Liberté de Martha Conway




J'ai été happé par cette fiction poignante qui prend racine aux Etats-Unis, une vingtaine d'années avant la guerre de Sécession (1861-1865). A cette époque, le fleuve Ohio servait de frontière naturelle entre le Nord libre et le Sud où l'on pratiquait l'esclavage. La romancière, Martha Conway a réussi avec ce roman historique un prodigieux tour de force : nous faire ressentir toute l'abomination que représentait alors l'esclavage dans cette Amérique tiraillée entre les abolitionistes et les partisans farouches de l'asservissement, ces derniers étant préoccupés surtout de conserver une main d'oeuvre non rémunérée pour cultiver à bon compte les champs de coton et de tabac du Sud.

L'histoire est campée à partir du personnage de May, la narratrice, une jeune fille orpheline qui trouve dans une troupe de comédiens une famille de substitution. La jeune fille, qui était tout d'abord employée sur le Moselle, un bateau qui a réellement existé et dont le naufrage fut célèbre, parvient en effet à se faire embaucher comme couturière sur une barge appelée « Le théâtre flottant » et qui descend également le fleuve pour donner des représentations de ville en ville.

J'ai aimé la progression calculée de l'intrigue, qui pousse à tourner les pages car on a hâte de savoir l'enjeu véritable de cette balade sur l'Ohio qui est loin d'être purement théâtrale. Et lorsqu'on découvre la chasse aux esclaves pratiquées par certains blancs contre de l'argent, on mesure bien la dimension du roman. Alors, on ne le lâche plus jusqu'à la dernière page.

La force de cette magnifique et édifiante histoire, c'est aussi l'alternance de passages légers et parfois humoristiques et les rebondissements dramatiques qui viennent accélérer le récit.

Un livre original et puissant, dont je recommande vivement la lecture.