lundi 1 novembre 2021

Chevreuse de Patrick Modiano

 


Le dernier Modiano se déguste comme un étrange polar. On  retrouve l'atmosphère unique, impalpable qui a fait le triomphe et la gloire du prix Nobel de Littérature 2014 à travers la plupart de ses romans. On y constate cette aptitude incroyable de promener le lecteur sur un espace géographique qui n'excède pas les limites de la grande couronne parisienne, bien souvent, en l'occurence ici la vallée de Chevreuse, où l'air est plus frais qu'à Paris selon l'auteur. Sa connaissance de chaque rue, de chaque carrefour, de chaque monument de la capitale, est fascinante. Pour s'aventurer jusqu'à la vallée de Chevreuse, il fallait inventer une sacrée histoire. Modiano l'a donc rêvée cette histoire et il l'a écrite. Sublimement.

Le découpage du temps est tout à fait caractéristique de sa manière d'écrire et de recomposer la mémoire. Il y a trois époques où le personnage principal du roman, un certain Jean Bosmans (déjà apparu dans d'autres romans de Modiano comme Horizon) noue les fils de son histoire. On se promène donc d'une époque à une autre, quand le héros du livre avait cinq ans, puis quand il en a eu vingt, puis cinquante ans plus tard, cela nous ramène visiblement aux années actuelles.

Le style Modiano c'est la capacité de ménager des zones d'ombre, d'épaissir le mystère au fil des pages, de titiller le lecteur qui s'attend à découvrir une fracassante vérité. Mais le roman reste toujours en demi-teintes, en approximation sur la vérité qui ne peut être révélée.

Les fins connaisseurs de l'oeuvre de Modiano ont bien sûr décrypté Chevreuse, qui selon certains évoque un autre roman célèbre de l'auteur, paru en 1991, sous le titre Remise de peine. On y a reconnu Modiano enfant, jouant avec son jeune frère dans une maison de Jour-en-Josas. Les parents ne pouvant s'en occuper à temps plein confiaient leurs deux garçons à quelques femmes qui habitaient aussi dans le même quartier. Ambiance villageoise. L'enfant Modiano avait ainsi eu l'occasion de côtoyer des gens  au demeurant peu recommandables.

Dans Chevreuse beaucoup de noms défilent, comme celui de Rose-Marie Krawell que le héros ne rencontre qu'à la fin du roman, loin de la vallée de Chevreuse, puisque cela se passe à Nice.

Le tour de force de Patrick Modiano est d'arriver à rendre universelle une histoire autobiographique. Un court passage du roman suffit à le démontrer: "À cette époque, il n’avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu’il croisait et aux rues une très vive phosphorescence. Puis, peu à peu, en vieillissant, il avait remarqué que la lumière s’était appauvrie ; elle rendait désormais aux gens et aux choses leurs vrais aspects et leurs vraies couleurs – les couleurs ternes de la vie courante."  On ne peut pas mieux décrire le désenchantement d'un adulte vieillissant qui ne retrouvera jamais son enfance.

lundi 7 juin 2021

Bella Ciao, sur les traces d'Angelo Ricco







Avec « Les Acacias Blancs de Gelsa » en 2014, puis « Carmen&Emilio » en 2019, j’avais commencé une trilogie sur les étrangers ayant participé à la Résistance en Dordogne, principalement des Espagnols.

 

Cette nouvelle biographie, Bella Ciao, consacrée à Angelo Ricco, combattant antifasciste venu d’Italie dans les années 30 boucle donc cette « mini-série » comme l’on dirait aujourd’hui du côté de Netflix ou d’Amazon. Sauf qu’ici, rien n’appartient à la fiction, tout est vrai de A à Z.

 

Ce sont des personnages exceptionnels qui ont laissé leur empreinte, mais leurs actes courageux au profit de la lutte contre les nazis et les miliciens (qui étaient leurs complices actifs sur le sol français !)  sont surtout connus des historiens. Pas du grand public.

 

J’ai voulu leur rendre hommage, et pour cela les sortir de l’oubli dans lequel ils étaient tombés, parce qu’ils ont risqué leur vie et accompli des prouesses militaires insensées pour libérer un pays qui, en fin de compte, n’était pas le leur. Si José Gonzalvo (le héros des Acacias Blancs de Gelsa, que j’ai personnellement connu et longuement interviewé), si Carmen et Emilio Alvarez, ont fait leur vie en France après-guerre, il n’en pas été de même pour Angelo Ricco dont je viens de publier une biographie totalement inédite, comme les deux précédentes d’ailleurs.

 

Angelo Ricco. Un profil à la Che Guevera, né en Italie en 1912, enrôlé malgré lui par Mussolini, et rapidement déserteur. Un personnage extrêmement charismatique, adoré par ses hommes, mais décrié pour un certain nombre d’exécutions liées à l’épuration encadrée pourtant par la Résistance. J’ai montré toutes les facettes du personnage, avec ses glorieux exploits, mais aussi ses zones d’ombre.

 

Le journaliste Yohan Doucet (la Charente Libre) qui a été l’un des premiers à écrire sur « Bella Ciao » a titré son article « Angelo Ricco, ô sombre héros de la guerre ». Je crois qu’on ne pouvait pas trouver mieux pour résumer le parcours  prodigieux mais hors normes de ce personnage fascinant de la Résistance.

 

Bella Ciao, Christian Bélingard, Editions Sud-Ouest, mai 2021


présentation de "Bella Ciao" sur France 3 (jeudi 3 juin 2021)