dimanche 23 septembre 2018

La révolte de Clara Dupont Monod


Sous la plume de Clara Dupont-Monod, l'épopée d'Aliénor d'Aquitaine racontée par son fils Richard est passionnante. On éprouve une empathie exceptionnelle pour ces personnages historiques qui continuent à nous fasciner des siècles plus tard... C'est que l'histoire d'Aliénor, d'abord épouse de Louis VII, roi de France, puis d'Henri II Plantagenêt quand il était sur le point d'accéder au trône d'Angleterre, n'est pas banale. On y a vu une figure politique féminine sans précédent, une guerrière courageuse, mais aussi une femme éprise de littérature qui a su encourager l'art des troubadours en langue d'oc, faisant franchir à ceux-ci la postérité sur ses propres traces. Il est vrai que son grand-père fut lui même un des premiers troubadours.

Ce récit est porté par un souffle épique, du début à la fin, et l'auteur sait nous captiver sans jamais ennuyer le lecteur. Son style est fluide, on suit pas à pas le destin d'Aliénor et plus particulièrement celui d'un de ses dix enfants qu'elle chérissait probablement plus que tous les autres, Richard Coeur de Lion.

Bien sûr on retrouve celui qui affronta Saladin lors d'une croisade restée célèbre, avant de succomber d'un trait d'arbalète quelque part au pied d'une forteresse située en Limousin. On trouvera dans la bataille livrée par le roi Richard à proximité de Jérusalem où il ne voulut pas s'installer, au lendemain de sa victoire, des détails particulièrement intéressants sur la stratégie militaire déployée à cette occasion.

"La révolte" se présente comme un des meilleurs livres de l'année. On peut lui souhaiter tout le succès qu'il mérite.

lundi 10 septembre 2018

Tous ce que les hommes désirent naturellement savoir de Nina Bouraoui


Le parcours déchiré et chaotique d'une jeune femme qui vit à Paris. Et qui s'exprime sans faux-fuyant sur son homosexualité et raconte aussi son passé, ses racines en Algérie, sa nostalgie et la vacuité de son existence, comblée par la passion amoureuse pour Julia, jeune aventurière venue d'Amérique latine et qui ne lui rend pas son amour.  Trois périodes de la vie de la narratrice sont exposées, en alternance, sur fonds de violence au quotidien. J'y ai vu un témoignage sur la difficulté de vivre dans ces conditions si précaires, si dangereuses, les aléas d'un destin  qui part forcément en vrille. La relation de la narratrice avec ses parents et notamment sa mère n'est pas des plus simples... Mais il y a l'écriture, comme une bouée de sauvetage. Où commence et où s'arrête l'autobiographie, c'est inévitablement la question que se pose le lecteur. Peu importe la réponse, même si on la devine assez facilement... Et le message final, celui de l'acceptation, est malgré tout un message d'espérance.

Ce roman est bien écrit, le style est fluide, les phrases sont courtes et efficaces sans fioritures inutiles. Comme pour mieux coller à la sincérité d'un auteur qui m'a touché par sa simplicité et son désir de vérité.

Un vrai roman d'amour aussi que je recommande personnellement pour découvrir une nouvelle plume, un nouveau talent.

lundi 30 juillet 2018

Equateur d'Antonin Varenne




C'est un roman d'aventures qui évoque tour à tour l'Amérique des chasseurs de bisons, le Mexique des Comancheros, le Guatemala et ses émeutes durement réprimées, puis la Guyane française, aux portes de Brésil et d'un mythique Equateur dont rêve le héros de cette picaresque épopée.

Pete Ferguson, s'est enfui après avoir déserté pendant la guerre de Sécession ( 1871) et il est recherché pour meurtre et violences diverses. Il tient tout au long du roman un carnet de route et évoque son passé familial qui le relie au ranch Fitzpatrick et à son frère Oliver, plus quelques autres.

La rédemption de Pete passe par une Indienne, Maria, rencontrée en chemin, et qui finit par le suivre jusqu'au bout de l'aventure.

J'ai lu cette histoire sans déplaisir, on y découvre bien sûr tous ces pays avec l'ambiance de l'époque plutôt bien restituée, mais sans doute un peu superficiellement aussi. On est loin par exemple d'un Butcher's Crossing signé John William qui a dépeint avec bien plus de précision et de poésie le monde des chasseurs de bisons.

Le suspense est plutôt bien maintenu, et la fin relativement surprenante. Bref, un bon roman pour passer un agréable moment au bord d'une plage, mais pas forcément un livre inoubliable.

vendredi 13 juillet 2018

La compagnie d'Ulysse de Jean-Marie Chevrier


Un roman pour retrouver un peu de l'esprit de mai soixante-huit: la liberté sexuelle, le côté révolutionnaire en "peau de lapin" pour reprendre une expression limousine, les chimères d'une adolescence qu'on ne voudrait quitter pour rien au monde... Jean-Marie Chevrier a inventé une histoire "ad hoc" où il campe un personnage de jeune dentiste, faisant ses classes en région parisienne, avant d'exercer à Guéret, sa ville natale. Avec un projet fou, celui de refaire le voyage d'Ulysse à bord d'un bateau qu'il fait construire par son ami creusois "Jojo" dans une ferme reculée au bord de la rivière. C'est plaisant, drôle souvent, voire caustique. J'ai aimé l'esprit du livre dans son ensemble, on tourne les pages, on se distrait. Avec un clin d’œil de l'auteur à l'écrivain Marcel Jouhandeau, son illustre prédécesseur...

Le livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher



Erwan Lahrher est écrivain. Il était présent au Bataclan le 13 novembre 2015 lors de l'attentat sanglant au cours duquel il fut blessé. Son témoignage, conçu comme "un objet littéraire", et écrit à la demande de ses proches et de son éditeur, restitue la démolition physique, mentale, psychique qui fut la sienne, et aussi la reconstruction pénible, lente, qui était presque mission impossible après un tel choc. Écrit à la deuxième personne, le seul moyen pour l'auteur d'éviter tout narcissisme indécent. Faisant partager les réactions spontanées de ses amis sur les réseaux sociaux, de sa famille, en particulier de son père, rendant hommage au personnel soignant exemplaire et dévoué à l'extrême. Allusion aux terroristes, dont il parle assez peu, sinon pour se mettre  à leur place et essayer de comprendre leur comportement. Pas de jugement péremptoire, une volonté de se détacher d'une vision manichéenne de l'histoire... Avant tout un témoignage personnel, sans autre ambition, que de raconter sa propre expérience. Sincère et touchant.

lundi 9 juillet 2018

Pour Sensi de Serge Bramly



C'est un roman intimiste qui passe par mille chemins détournés avant de conduire, in extremis, le lecteur vers le dénouement qui éclaire toute l'histoire... Du grand art! Dédié à une femme, que le narrateur, écrivain « de métier », a entrepris de peindre avec toute la force d'un style brillant, érudit, puisant à d'innombrables sources ( je n'ai pas compté le nombre de citations d'écrivains, de peintres, de musiciens, mais Serge Bramly a des lettres incontestablement).

L'histoire est celle d'une jeune femme blonde, Rivka avec qui il a entretenu une liaison adultère durant dix-neuf mois, et qui vient de le quitter. Mais le narrateur connait un deuxième échec, littéraire celui-là, concernant un projet de livre dans lequel il s'était énormément investi, sur la conjuration de Catilina, la rédaction en est au point mort. C'est pour l'auteur une double impasse, une profonde dépression.

Entre la Tunisie où plongent ses racines, et plusieurs pays ou contrées comme le Brésil ou l'Himalaya, Serge Branly nous fait voyager dans le monde entier, et il transforme une relation amoureuse assez banale en promenade littéraire agréable, souvent professorale tout de même, c'est un peu le défaut de l'auteur de donner, quitte à me répéter, très souvent dans la citation ou l'explication philosophique, etc...

Reste que le roman est réussi, je l'ai lu avec intérêt et conviction. Il peut figurer dans les choix possibles de la rentrée littéraire en vue d'un prix. L'auteur n'est pas un inconnu. Romancier, scénariste et critique d'art, il a déjà reçu le prix Interallié en 2008 pour son roman « Le premier principe, le second principe » aux éditions Jean-Claude Lattès.

dimanche 24 juin 2018

Souvenirs involontaires de Madeleine Chapsal


Agée de 93 ans, Madeleine Chapsal publie ses « souvenirs involontaires », référence clairement proustienne. C'est un livre qui évidemment s'imposait tant son long parcours est riche de rencontres, où l'on croise en premier lieu « l'homme de sa vie » Jean-Jacques Servan-Schreiber mais aussi tant d'autres grands noms de la littérature, du cinéma, des médias : Françoise Giroud bien sûr, Françoise Dolto, André Malraux, Jérôme Lindon, et bien d'autres encore.

J'ai connu moi-même Madeleine Chapsal, en tant que marraine de « Lire à Limoges », un rendez-vous qui lui tenait à cœur chaque année, elle qui est restée si fière de ses racines limousines, notamment de ce grand-père, tailleur de granit à Eymoutiers, véritable artiste appliqué à sculpter d'admirables pierres tombales y compris la sienne.

J'ai aimé le ton de ces mémoires, empreintes de sincérité, où l'on apprend notamment comment cette journaliste est devenue un jour écrivain, au terme d'une longue psychanalyse sans laquelle, cela « ne serait pas arrivé », selon elle.

Madeleine Chapsal réserve évidemment une place à part à François Mitterand, qu'elle voyait souvent, et jusqu'à la fin de sa vie, et qui lui a confié un jour : « vous vous rendez compte de ce que vous avez fait pour les femmes ? Avec vos écrits, vos livres », phrase qui fait référence à l'engagement de l'auteur des « souvenirs involontaires » pour la libération de la femme à travers une œuvre prolifique ( plus de cent ouvrages, romans et essais confondus) et un best-seller reconnu «  La maison de Jade ».

Sur le plan amoureux aussi, la vie de Madeleine Chapsal est particulièrement riche et mouvementée, et bien sûr ces mémoires viennent éclairer la relation tendue avec Françoise Giroud, qui fut la maîtresse de son mari, et avec laquelle elle règle quelques comptes, mais en conservant toujours une certaine retenue...

On passe un excellent moment à lire ces lignes, qui racontent la vie d'une femme écrivain libre, amoureuse souvent, qui a connu tant de ruptures et de nouveaux départs... Et qui a su faire, avec brio, le grand écart entre ses racines paysannes et sa vie parisienne dans les milieux les plus huppés.

vendredi 15 juin 2018

Avec toutes mes sympathies d'Olivia de Lamberterie



Olivia de Lamberterie, la reine incontestable de la critique littéraire sur France 2, m'a fait découvrir des livres passionnants. Récemment, par exemple, ceux de talents reconnus comme Philippe Jaenada, mais aussi des nouveaux venus comme Frank Bouysse, un jeune auteur de polars inspiré par la ruralité, et je pourrais en citer bien d'autres. J'aime ses chroniques vivantes, sensibles, chaleureuses, qui ont le don de captiver son public, de l'étonner.

En racontant les circonstances du suicide de son frère Alex, survenu le 14 octobre 2015 à Montréal, Olivia de Lamberterie a traversé le miroir du petit écran. La journaliste a choisi de se muer en écrivain pour évoquer cette douloureuse épreuve et il en ressort un témoignage puissant et pathétique qui m'a sincèrement ému et même bouleversé. Pas facile de mettre des mots sur la douleur que peut susciter un tel drame familial, ni de faire partager hors de toute sensiblerie l'incompréhension, la révolte, le désordre intérieur qu'un tel événement peut susciter. Pas facile de trouver le ton juste dans l'écriture, de marcher ainsi sur un fil en permanence en essayant de démêler les causes d'un acte désespéré, tout en prenant le lecteur à témoin. Et pourtant par un style aussi vivant que ses propos à la télé, fait de phrases courtes et incisives, parsemé d'expressions drôles, de références au cinéma, à la chanson, aux écrivains bien sûr, aux réseaux sociaux, l'auteur excelle dans l'exercice pourtant périlleux auquel elle s'est livrée avec courage, lucidité, audace aussi.

Le livre est écrit à fleur de peau. C'est avant tout un superbe geste d'amour. On revit le drame familial avec l'évocation des moments heureux ( les beaux étés de Cadaquès et de la Croix Valmer) et aussi les heures noires de ce frère si instable, qui avait déjà voulu mettre fin à ses jours à plusieurs reprises, avant de se jeter du haut du pont Jacques-Cartier à Montréal. On comprend que les médecins, en particulier les psychiatres, auxquels le désespéré a pu se confier, n'ont pas été pour la plupart à la hauteur, c'est en tous cas le ressenti d'une sœur aimante, écœurée par tant d'incompétence.

La vie d' Alex, qui nous est ainsi exposée, présentait pourtant toutes les apparences de la réussite sociale, professionnelle et familiale, même s'il y a forcément une part d'inconnu qu'une vie recèle, laquelle échappe même aux membres les plus proches de sa famille ou à ses amis intimes. Une photo d'enfance, prise sur une plage de sud de la France et transmise un jour via Internet à sa sœur, nous montre le bonheur de vivre de deux enfants épanouis à qui rien ne pouvait arriver de mauvais, c'est la couverture du livre. Et puis un jour tout bascule. Quand, comment, pourquoi, Olivier de Lamberterie s'efforce sans y parvenir vraiment à expliquer l'inexplicable.

L'auteur nous rappelle que le choix de son titre « avec toutes mes sympathies » lui a été inspiré par le sens de « sympathy » en anglais qui signifie « condoléances » et qui renvoie à la célèbre bourde de Françoise Sagan, lors d'une séance de dédicaces à New-York. Un écrivain phare pour l'auteur de ce témoignage si poignant.

Faire son deuil malgré tout, et d'une manière qui une fois encore va étonner le lecteur, et réussir en même temps à se remettre en selle, à reprendre « le métro de la vie », c'est la leçon finale, sublime, délivrée au terme de ce récit tout à fait exceptionnel. Olivia de Lamberterie excelle, on l'a déjà souligné, dans la critique littéraire, elle vient de faire la preuve qu'elle est aussi un écrivain qui met d'emblée la barre très haut, ouvrant une nouvelle voie , de nouveaux horizons à son magnifique talent.

vendredi 8 juin 2018

Le fleuve de la Liberté de Martha Conway




J'ai été happé par cette fiction poignante qui prend racine aux Etats-Unis, une vingtaine d'années avant la guerre de Sécession (1861-1865). A cette époque, le fleuve Ohio servait de frontière naturelle entre le Nord libre et le Sud où l'on pratiquait l'esclavage. La romancière, Martha Conway a réussi avec ce roman historique un prodigieux tour de force : nous faire ressentir toute l'abomination que représentait alors l'esclavage dans cette Amérique tiraillée entre les abolitionistes et les partisans farouches de l'asservissement, ces derniers étant préoccupés surtout de conserver une main d'oeuvre non rémunérée pour cultiver à bon compte les champs de coton et de tabac du Sud.

L'histoire est campée à partir du personnage de May, la narratrice, une jeune fille orpheline qui trouve dans une troupe de comédiens une famille de substitution. La jeune fille, qui était tout d'abord employée sur le Moselle, un bateau qui a réellement existé et dont le naufrage fut célèbre, parvient en effet à se faire embaucher comme couturière sur une barge appelée « Le théâtre flottant » et qui descend également le fleuve pour donner des représentations de ville en ville.

J'ai aimé la progression calculée de l'intrigue, qui pousse à tourner les pages car on a hâte de savoir l'enjeu véritable de cette balade sur l'Ohio qui est loin d'être purement théâtrale. Et lorsqu'on découvre la chasse aux esclaves pratiquées par certains blancs contre de l'argent, on mesure bien la dimension du roman. Alors, on ne le lâche plus jusqu'à la dernière page.

La force de cette magnifique et édifiante histoire, c'est aussi l'alternance de passages légers et parfois humoristiques et les rebondissements dramatiques qui viennent accélérer le récit.

Un livre original et puissant, dont je recommande vivement la lecture.

mardi 10 avril 2018

Qui je suis de Mindy Mejia



La petite ville de Pine Valley, dans l'Amérique profonde, est le théâtre d'un crime. Une jeune lycéenne, qui est sur le point d'atteindre sa majorité, est sauvagement poignardée un soir dans une grange. Hattie est devenue la maîtresse de Peter, l'un de ses professeurs via internet : ils se sont en effet connectés tous les deux sur le même réseau social, et l'incroyable rencontre s'est produite. Mais, pour donner le change, Hattie s'affiche avec un champion de football américain de son lycée, Tommy. Cette relation, par contre, reste platonique. Hattie n'aime que Peter. Le shériff de la ville ( Del) va mener l'enquête pour découvrir le meurtrier.

Une histoire bien échafaudée


Je me suis laissé entraîner dans l'histoire, agréable à lire, et bien racontée. Comme c'est souvent le cas dans les thrillers américains en particulier, trois voix s'expriment tour à tour : celle de Hattie, la victime, et ce n'est pas le moins surprenant ( mais l'explication arrive à la fin), celle de Peter, le prof, et celle de Del, le shériff. De ce point de vue, c'est plutôt bien réussi.

Des personnages très stéréotypés


Cela étant, les personnages sont plutôt stéréotypés. Le prof est passionné de théâtre, comme sa jeune maîtresse, et l'auteur utilise une pièce de Shakespeare, MacBeth, pour nouer l'intrigue. Evidemment, il y a un va et bien entre les sentiments que dépeint ce chef d’œuvre de la littérature et les personnages du polar. A commencer bien sûr par Hattie et Peter, entraînés l'un et l'autre dans une spirale à l'issue dramatique. C'est bien fait, mais c'est un peu convenu.

Une fin ratée


A mes yeux, la fin de l'histoire est ratée, car absolument pas crédible. Je pense qu'on peut faire le tour de tous les affaires criminelles, il doit être assez rare de trouver des assassins qui laissent à ce point des traces accablantes de leur crime. Oui, mais voilà, il fallait une histoire avec une fin palpitante, dans un décor choisi... Donc on pense peut-être à l'adaptation cinématographique, plus qu'à la crédibilité de l'intrigue.

Mon jugement final sera donc assez mitigé : oui, c'est un polar qui mérite d'être lu, mais je ne lui accorderai pour ma part qu'une note « moyenne ».

mardi 20 mars 2018

La mort d'Hitler par Jean-christophe Brisard, Lana Parshina


C'est une contre-enquête efficace et convaincante sur la mort d'Hitler. Tant de légendes ont circulé sur la disparition du dictateur nazi depuis le 30 avril 1945, date présumée de son suicide. Parmi ces légendes, l'évasion d'Hitler quelque part du côté de l'Amérique du Sud, à bord d'un sous-marin. Une hypothèse qui est d'emblée qualifiée de fantaisiste par les deux journalistes qui ont enquêté pour élucider les derniers mystères du suicide annoncé, Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina. Ici, on a droit à une démonstration rigoureuse, scientifique, à partir de l'identification d'une part de fragments du crâne attribué au «  Führer  » et d'autre part à d'autres fragments de sa dentition. L'enquête s'appuie aussi sur des témoignages des proches du dictateur, qui ont vécu ses derniers moments et ont été interrogés à de multiples reprises. Tous ces documents et ces restes du corps d'Hitler se trouvent aujourd'hui conservés à Moscou, à différents endroits, d'où la complexité de l'enquête.

Cold Case


Le journaliste français et sa collègue russo-américaine ont formé une équipe hors pair pour parvenir  à obtenir les autorisations nécessaires qui leur ont permis d'accéder aux archives secrètes du KGB, et pas seulement. Lana Parshina s'était illustrée notamment par son documentaire retentissant en 2008 sur la fille de Staline. Cette fois, elle a joué un rôle majeur pour convaincre les autorités russes de livrer certains renseignements. Un universitaire américain, qui avait estimé à tort que les restes de crâne conservés étaient ceux d'une jeune femme, avait rendu les Russes totalement furieux.

Un expert légiste reconnu


Les deux auteurs de ce livre, qui sort en même temps qu''un documentaire télévisé, se sont adjoints pour cette recherche inédite les services de Philippe Charlier, médecin légiste et anthropologue  à qui l'on doit notamment l'identification de la tête de Henri IV. Le travail de ce spécialiste est impressionnant et mérite d'être en effet largement connu.

Une conclusion rationnelle


A la fin de ce livre, les auteurs se positionnent bien entendu clairement sur l'hypothèse qu'ils privilégient. Oui, Hitler s'est bien donné la mort à Berlin le 30 avril 1945. Trois possibilités existent  : S'est-il tiré une balle dans la tête, dans la bouche ou s'est-il empoisonné avec du cyanure? Les réponses figurent dans cet essai brillant.

mercredi 7 mars 2018

Les Loyautés de Delphine de Vigan




Je n'avais encore jamais lu Delphine de Vigan ( honte à moi), et je dois dire que « Les Loyautés » est un récit à plusieurs voix qui m'a bien plu. L'auteur met en scène deux enfants qui fréquentent un collège à Paris, en classe de cinquième. Théo et Mathis ont un peu plus de douze ans. L'un de leurs professeurs, Hélène, a très vite l'intuition que ces deux camarades, toujours ensemble, ont quelque chose à cacher. Grâce au mode de narration polyphonique de ce roman, le lecteur comprend très vite que Théo et Mathis se cachent pour boire de l'alcool en cachette. Et c'est très vite l'escalade...


Des personnages plus vrais que nature


Le roman est raconté par quatre personnages : Hélène, professeur au Collège, qui a eu une enfance maltraitée avec un père violent et une mère qui ne voyait pas ; Cécile, la mère de Mathis, qui reste à son foyer, qui découvre la double personnalité de son mari, mais qui ne lâche rien en découvrant le drame que vit son fils ; Mathis, un enfant cachotier, sous l'influence de Théo, le quatrième personnage, un enfant timide et mal dans sa peau, dont les parents sont divorcés. On se sent proche de chacun des narrateurs, imaginés par Delphine de Vigan, car le ton est juste, les situations qu'ils vivent sont tellement ancrées dans le quotidien que cela renforce considérablement la crédibilité du roman.


Un roman attachant


Le résultat, à mes yeux, est brillant, c'est une histoire qui entraîne le lecteur à vouloir connaître sans cesse la suite, avec un suspens qui ne fait que croître au fur et à mesure où l'on se rapproche de la fin. A ce moment là, seulement, j'ai été personnellement déçu. Delphine de Vigan nous laisse imaginer nous-même l'issue de ce récit. C'est un choix peut-être discutable, cependant je recommande vivement la lecture des « Loyautés » qui me va personellement droit au cœur.

samedi 3 mars 2018

La femme à la fenêtre de A.J. Finn


J'ai aimé ce polar aux références cinématographiques appuyées ( Anna, l'héroïne de cette histoire est passionnée de films en noir et blanc aussi renommés que ceux d'Alfred Hitchcock, par exemple). Il faut attendre assez longtemps, je dois dire, pour que l'intrigue policière proprement dite se mette en route, mais dés lors que le crime a été commis, on ne lâche plus le livre jusqu'à la dernière page. C'est un bel échafaudage qui commence par le portrait d'une femme recluse, le docteur Anna Fox, qui exerçait le métier de pédopsychiatre, mais qui se terre depuis près d'un an dans sa maison à plusieurs étages, située à Harlem. Elle souffre d'agoraphobie, passe ses journées à boire et à consommer des médicaments. Pour se distraire, il y a internet et puis la surveillance du voisinage depuis sa fenêtre...

Le passé dévoilé progressivement


Le personnage d'Anna est minutieusement construit, on sait très vite qu'elle a été mariée à Ed et qu'ils ont eu ensemble une fille Olivia. Mais c'est la séparation depuis plusieurs mois maintenant, et Anna vit seule désormais. Elle ne peut se passer d'appeler au téléphone son ex mari et sa fille, puis on finit par apprendre qu'au moment où le couple s'est disputé, il y a eu un accident dans une tempête de neige. Depuis, c'est l'enfer dans sa vie et l'impossibilité pour elle de quitter sa maison, de voir la lumière...

L'étrange voisinage des Russel


La situation personnelle d'Anna joue un grand rôle dans l'intrigue policière.  Car un soir, chez les Russel, dont Anna aperçoit l'appartement depuis chez elle, un meurtre a lieu et elle en est témoin, étant à la fenêtre ce soir là... Mais, quand la police arrive, l'inspecteur Little et sa collègue Norelli, mènent rapidement l' enquête et concluent à des hallucinations de la part d'Anna, liées à la prise d'alcool combinée à celle des médicaments. Toute la force de ce roman est là, dans l'impossibilité pour le lecteur, de savoir la vérité entre les allégations d'Anna et les conclusions de la police.

Des personnages secondaires savamment choisis


L'auteur met en scène plusieurs personnages qui vont jouer chacun leur partition dans cette histoire. Le docteur Fielding, avec qui Anna communique souvent mais  ne suit pas les recommandations, les Russsel, bien sûr, avec en particulier Ethan,  un adolescent qui vit avec ses parents dans l'appartement où s'est produit le crime supposé par Anna, David, un séduisant jeune homme qui a loué le sous-sol de la maison d'Anna, et aussi Bina, une infirmière-kiné, qui vient régulièrement au domicile d'Anna.

Un style très fluide


J'ai aimé l'écriture de ce polar, qu'on lit facilement, tant le style est fluide, avec beaucoup de dialogues qui rythment la narration, et ajoutent souvent au suspense. C'est un excellent choix de lecture, sans aucun doute.

samedi 24 février 2018

La fille du roi des marais de Karen Dionne



Dans le Michigan, une fillette grandit au milieu des marais, élevée (si l'on peut dire) par un père issu de la race indienne, violent et déséquilibré, et par une mère de descendance finlandaise. Helena, c'est le prénom de la fillette ( la narratrice du roman) apprend un jour qu'elle est l'enfant d'un viol, que sa mère a été kidnappée à l'adolescence, et retenue prisonnière pendant quatorze ans dans une cabane perdue loin de toute civilisation. Le roman commence le jour où le père, finalement emprisonné, a réussi à s'évader et on sait très rapidement qu'il va tout faire pour retrouver sa fille qui l'a envoyé en prison, et régler ses comptes avec elle... Helena, qui est désormais mariée, avec deux petites filles dans son foyer, va tout faire pour retrouver son père avant la police. Et elle prend la direction des marais.

Un récit haletant et incroyablement captivant

Ce roman de Karen Dionne m'a happé dès les premières pages, et le suspense est présent tout au long du récit, sans répit. Il est écrit avec un seul point de vue, celui d'Helena, mais il y a alternance de deux histoires : celle de la mère inquiète pour sa vie et celle de son mari, de ses enfants; et puis, en même temps, l'histoire de l'enfance d'Helena liée aux souvenirs de la vie d'ermite qu'elle a du mener avec son père ( mais aussi sa mère) pendant quatorze ans. Aucun contact avec le monde contemporain, toutes ses connaissances sont liées à la pratique de la chasse, de la pêche, à la cueillette des fruits. Seule, une collection de « National Geographic » conservée par sa mère lui a permis d'avoir un semblant d'éducation, avec un décalage de quarante ans sur l'époque où elle vit.

Une relation complexe fille- père

Même si le père, nommé Jacob, est un monstre, Helena conserve de sa relation avec cet homme de bons souvenirs d'enfance. Sans cesse, elle se pose la question de savoir si cet homme l'a aimée en tant que fille, et parfois elle a pu douter de son mauvais fonds. Cette emprise psychologique qu'il exerce sur sa fille est un vrai point fort de ce livre. Du grand art !

Un conte d'Andersen librement adapté

Ce roman intitulé « La fille du roi des marais » fait référence au conte d'Andersen « la fille du roi de la vase » qui sert d'ailleurs de fil conducteur à ce thriller. Je ne vois pas de point faible à vrai dire dans le roman, on se laisse conduire du début à la fin sans le moindre moment de lassitude.

dimanche 18 février 2018

La Maison à droite de celle de ma grand-mère de Michaël Uras



Direction la Sardaigne où débarque Giacomo, le narrateur unique du roman, pour embrasser sa grand-mère mourante à l'hôpital dans l'agglomération où vivent ses parents. Giacomo est traducteur littéraire et il travaille sur « Moby Dick », il doit remettre son texte, pressé par son éditeur. Mais le séjour sur son île natale ralentit un peu les choses... Car il retrouve les parfums et les couleurs de l'enfance, grâce à ce retour au pays. Ses parents, sa mère ( une vraie « Mamma » possessive et aimante), ses amis, dont un certain « Capitaine ». Et puis il va faire la rencontre d'une jeune doctoresse qui soigne sa grand-mère à l'hôpital, Alessandra...


Un roman intimiste et attachant


J'ai trouvé ce roman intéressant car il raconte surtout le parcours intérieur d'un jeune homme qui retrouve non seulement ses racines, mais qui a sur le cœur un très lourd secret. La manière dont son histoire est transmise au lecteur est une des qualités du livre : on apprend peu à peu les choses, on se concentre peut-être d'abord sur cette Sardaigne mythique qu'on aimerait encore mieux connaître, mais ce roman n'est pas le Guide du Routard. Ecrit avec humour, il cache bien son jeu jusqu'à la révélation finale.

Un anti-héros


Le personnage central, Giacomo, est un anti-héros. Pas question de se mettre en valeur, ce n'est pas lui qui va commettre un péché de vanité. Non, il se décrit lui même comme un footballeur médiocre quand il était plus jeune, et même son travail de traducteur, dont il est très fier, ne le couvre pas de gloire, tout juste décroche-t-il un article dans le journal local à l'occasion de son retour en Sardaigne. Mais ce n'est déjà pas si mal...

Une fin improbable mais décevante


Bien sûr, je ne parlerai pas dans le détail de la manière dont s'achève l'histoire, mais j'avoue qu'elle m'a un peu déçu. Il y a un côté « mauvaise blague » qui aurait pu être évité. Mais cela correspond bien au ton général du roman. Au lecteur d'imaginer ce qui va se passer... après ! Pas sûr tout de même que l'on ait envie de prendre un billet pour la Sardaigne, en lisant ce livre. On sent bien qu'il y a beaucoup, beaucoup trop de touristes...

jeudi 15 février 2018

Bluff de David Fauquemberg



L'Anchorage Café, port de Bluff, Nouvelle-Zélande. C'est là que commence l'histoire. Elle réunit trois hommes qui ne se ressemblent en rien : un voyageur français, dit « Le Frenchie », un vieux pêcheur maori, Sonny Rongo Walker, qui est aussi capitaine et propriétaire d'un bateau de pêche à moteur, et un colosse venu de Tahiti où l'a déniché Walker. Il s'appelle Tamatoa. Le vieux capitaine repère rapidement le « Frenchie » dans le café, et lui propose de l'embaucher à bord du « Torua » pour aller pêcher la langouste. Tout commence bien, les premières sorties sont faciles, la mer est assez calme, la pêche assez fructueuse. Puis les langoustes viennent à manquer. Alors arrive la grande expédition, où il faut aller chercher très loin les pêches miraculeuses du précieux crustacé. Sauf que le matériel radio tombe en panne, la plus grosse tempête jamais vue dans les mers australes se déchaîne, c'est le drame...


Un superbe hommage aux pêcheurs de Polynésie


J'ai ressenti ce roman épique, écrit par un auteur français ( ce serait lui le « Frenchie »?), comme un vibrant plaidoyer pour la culture des Maoris, des Tahitiens, de tous ces peuples de la mer qui se sont avérés depuis des millénaires comme des navigateurs hors pair grâce à la science des étoiles. Pas besoin à ceux-là, aujourd'hui en voie de disparition, d'instruments sophistiqués pour naviguer, ni de bateaux puissants gourmands en énergie et pollueurs. Non, leurs pirogues taillées dans les « arbres à pain » ont fait sacrément leurs preuves depuis toujours. Pour étayer cet hommage, David Fauquemberg émaille son roman de quatre portraits qui viennent interrompre le récit. Un philosophe « Papa Marii », un poète Hone, un navigateur Mau, et un autre navigateur « Tevake » à qui appartient le dernier mot.


Quelques longueurs dans le récit


Aussi nobles soient les intentions de l'auteur, force est de constater quelques longueurs dans ce roman où l'on devine assez facilement ce qui va se passer. Donc un suspense limité, on n'est pas dans un vrai thriller. Mais ce n'est sans doute pas ce qu'a recherché David Fauquemberg, on peut sur ce point être plutôt indulgent.


La marque du vécu


Il est incontestable en revanche que l'auteur connaît bien son sujet. On imagine qu'il a du longuement parcourir cette Océanie aux îles mystérieuses, aux ciels flamboyants, aux falaises abruptes. Et rencontrer ces hommes qui ont su transmettre leur culture à leurs enfants, pendant des siècles avant l'inévitable exode qui frappe aussi ces contrées de la planète, comme on peut le constater dans nos campagnes européennes. Alors oui, « Bluff » est un beau récit pour un hommage grandiose aux coureurs d'étoiles sous les ciels d'Océanie...

mardi 6 février 2018

Un regard de sang de Lina Meruane




Une étudiante chilienne, Lina, qui prépare une thèse à New-York, devient pratiquement aveugle au cours d'une soirée où elle fait la fête en compagnie de son fiancé Ignacio. Les veines de ses rétines ne résistent pas à la pression sanguine, elle sent ses yeux se remplir d'hémoglobine, depuis longtemps déjà elle savait sa vue menacée. L'ophtalmologue Lekz, à New-York, est réputé, et la prend en charge, car elle ne veut pour rien au monde être soignée ailleurs, et surtout pas au Chili, qui est pourtant son pays natal. Tout le récit est construit autour des conséquences de cette maladie angoissante, qui va mettre à rude épreuve son entourage et lui donner le courage pourtant de se battre, et de ne pas se laisser déborder par l'apitoiement de sa famille en particulier.

Une écriture bouleversante


Ce récit est particulièrement touchant, en raison de son écriture qui nous bouleverse de vérité. Tout ce qui se passe désormais dans la vie de Lina est lié à ses perceptions auditives ou au toucher, aux odeurs, bref tous les sens qui restent intacts. La jeune étudiante garde ainsi la possibilité d'écouter des romans enregistrés, elle demeure aussi en contact avec sa directrice de thèse qui lui suggère de dicter devant un magnétophone ses propres projets d'écriture auxquels elle a commencé à renoncer.

Un aller retour désabusé New-York-Santiago-New-York


Le retour au pays de Lina pendant quelques jours nous offre un regard désabusé sur ce qu'est devenu le pays, sa pauvreté, les conditions inconfortables où sa propre famille vit, alors que ses parents sont tous les deux médecins. Mais c'est en retrouvant l'un de ses frères qu'elle réalise que l'apitoiement de son entourage est davantage pour elle un handicap qu'un soulagement. Mieux vaut repartir le plus tôt possible pour l'Amérique du Nord... Ignacio, qui l'a accompagnée, et ne la quitte plus ( le couple a emménagé dans un nouvel appartement) subit lui aussi la situation, ne peut guère apporter de réconfort à Lina, malgré tous ses efforts.

La description lucide et pertinente du handicap


Ce très beau livre est une description réussie du handicap, surtout lorsqu'il surgit brutalement dans une vie. Tout le récit est un monologue, où Lina exprime ses doutes, ses peurs, ses angoisses. A lire, absolument, pour découvrir cette écrivaine chilienne talentueuse, née en 1970 , et qui enseigne aujourd'hui la littérature latino-américaine à New-York University.

date de publication du roman:  10 janvier 2018

jeudi 1 février 2018

La désertion d'Emmanuelle Lambert



Après avoir été embauchée dans une société à Paris, chargée d'établir des statistiques sur les personnes décédées, Eva apprend rapidement à connaître son patron, un obsédé de l'ordre, du classement, et par ailleurs un homme pervers et qui passe une partie notable de son temps à espionner ses employé (e)s, à faire des fiches sur eux, à les photographier à leur insu... Elle devient amie avec sa collègue de bureau, Marie-Claude, gentille mais intrusive, puis rencontre fortuitement Paul, par « collision » écrit Emmanuelle Lambert ( au propre et au figuré). C'est le début d'une aventure, mais un jour, après un dîner beaucoup trop arrosé, Eva décide de tout quitter, amant, amie, travail, appartement, pour une nouvelle vie dont on connaîtra la réalité plus qu'étonnante seulement au moment du dénouement final.

Une peinture sombre de la vie


J'ai vu dans ce court mais poignant roman une peinture sombre de la vie: celle du renoncement, de « la désertion » au sens psychologique du terme, comme l'indique le titre tout à fait adapté à ce récit. Eva n'en peut plus de sa vie où tout lui déplait, dans une société technologique et déshumanisée, qui perd ses repères et voit surgir les menaces les plus sévères (il s'agit de notre époque puisque les récents attentats de Paris par exemple sont mentionnés), avec un travail absurde et dépersonnalisé, des dîners convenus et sans intérêt où les protagonistes n'ont rien à dire, ou si peu, sauf des banalités... Mais lorsqu'on prend ce genre de distance avec les autres, il n'y a plus grand monde pour vous aider : « Je ne peux pas t'accompagner dans ce voyage », finit par dire Marie Claude à Eva, un soir de cuite.


Un roman touchant


C'est un roman qui m'a touché parce qu'il m'a paru hors norme, inclassable, et tellement dérangeant. On se met à la place d'Eva, forcément et on souffre avec elle. Voici une jeune femme qui remet en cause sa vie monotone et insipide pour une aventure toute intérieure, à la fois dévastatrice et libératrice. Elle lâche prise avec son quotidien qu'elle rejette , et s'invente un autre univers où il y a place non plus pour les vivants mais pour les morts. Mais, si en définitive, au bout du tunnel il y avait quand même une petite lumière ? Emmanuelle Lambert finit par nous la laisser entrevoir...

Une écriture originale


Le roman est écrit avec plusieurs points de vues successifs qui sont ceux des quatre personnages principaux. On avance ainsi dans l'histoire avec envie, car le suspens est bien ménagé. Une sorte de contre-enquête. Le style est excellent, pur et ciselé. Un vrai modèle d'écriture. Le seul bémol serait le manque d'informations donné sur les origines familiales, sur l'identité d'Eva qui nous donneraient à mieux comprendre le personnage qu'elle est devenue, ballotée dans cette vie sans relief qu'on peut imaginer à Paris ou dans une autre grande ville. En fin de compte on aurait aimé en savoir un peu plus, ses goûts personnels, littérature, musique, cinéma, voyages etc...

L'obsession de la mort


Le livre est écrit comme si Eva avait dépassé le cap d'une vie normale, et décidé de vivre à trente ans dans l'obsession de la mort. Une seule citation permet peut-être de résumer la pensée de l'auteur : « accepteriez-vous vraiment de vivre cette vie-là si au bout du compte vous n’étiez pas sûrs que vous allez mourir ? ».

Je recommande ce livre à tous ceux qui veulent découvrir un auteur de talent, même si son propos ici n'est pas enchanteur...

Date de publication du roman : 17 janvier 2018

mercredi 31 janvier 2018

Blue Light Yokohama de Nicolás Obregón



A Tokyo, l'inspecteur Iwata et sa collègue Sakai de la brigade criminelle mènent leur première enquête commune. Ils ont à résoudre un quadruple meurtre : les Kaneshiros, une famille coréenne, ont été massacrés dans leur maison. Le tueur a notamment prélevé le cœur du mari et laissé un étrange symbole en guise de signature de son crime : un « soleil noir » tracé au plafond...


Une construction sophistiquée


Ainsi commence ce roman noir très réussi qui se déroule principalement au Japon. La construction de l'intrigue est savamment sophistiquée. L'histoire s'ouvre dans un téléphérique où une jeune marginale, qui est accompagnée par une petite fille, poignarde un policier présent dans la cabine, avant de sauter dans le vide. La résolution de l'énigme aboutira à découvrir le meurtrier, après une multitude de rebondissements et de digressions. On en apprend davantage, au fil des pages, sur la personnalité des enquêteurs, sur leur passé, et sur leur quête personnelle. Tout est étroitement imbriqué...


Le « Rainbow Bridge » en guise de décor


Tokyo sert de toile de fonds à ce thriller, avec pour emblème son prestigieux « Rainbow Bridge » illuminé grâce à l'énergie solaire, où les personnages clefs se croisent et jouent chacun leur partition. On navigue également dans les bas quartiers de la capitale mais aussi dans des lieux plus huppés, en devinant que l'auteur nourrit pour la capitale japonaise une véritable passion. Une chanson trotte tout au long du livre dans la tête de l'inspecteur Iwata : « Blue Light Yokohama » dont les paroles sont égrenées au fil des pages sur le mode répétitif. C'est une originalité d'écriture. Ces paroles apaisantes et poétiques contrastent en effet avec la noire réalité à laquelle les enquêteurs sont sans cesse confrontés.

Le phénomène des sectes au Japon... et ailleurs



Nicolás Obregón, l'auteur du roman, a saisi au passage quelques traits dominants de la société japonaise : la corruption qui y règne mais aussi l'inquiétante progression du nombre de suicides par exemple que les autorités essaient de combattre avec des moyens dérisoires ou la puissance des sectes, qui est au cœur de l'intrigue, nous donnent à réfléchir sur nos modes de vie et de développement. Avec comme perspective cette « ultra-moderne solitude » qui s'installe ici ou là, et pas seulement au Japon. Ce livre, de ce point de vue, parle à tout le monde.


Un cocktail réussi


J'ai aimé ce roman qui parvient à nous tenir en haleine, malgré quelques invraisemblances, avec un final qui ne manque pas de panache. Un joli défi pour l'auteur, né en Espagne, et qui s'était juré de marcher un jour sur le « Rainbow Bridge » lorsqu'il était enfant. Challenge réussi.

Date de publication du roman:  31 janvier 2018

samedi 27 janvier 2018

Toute la vérité de Karen Cleveland



Vivian et Matt Miller forment un beau couple, ils vivent à Washington dans une maison agréable et filent le parfait amour depuis dix ans. Ils ont quatre enfants dont deux jumeaux ( l'un d'eux souffre de problèmes cardiaques mais il bien pris en charge). Matt est ingénieur en informatique, mais Vivian exerce un métier spécial : elle est analyste à la CIA, chargée plus spécialement du démantèlement d'une cellule d'agents dormants qui espionnent sur le sol américain au profit de la Russie. Et un jour, en prenant la main sur l'ordinateur d'un certain Youri, présumé espion russe, Vivian y fait une découverte ahurissante : la photo de son mari dans le même fichier que quatre autres personnes qui lui sont inconnues.


Une histoire totalement captivante


J'ai rarement lu une histoire aussi captivante que celle que nous raconte dans ce roman Karen Cleveland, qui fut elle même analyste à la CIA. On réalise très vite que l'auteur sait de quoi elle parle, et pour cause ! La force du récit réside à mes yeux dans la manière dont cette histoire de contre-espionnage est abordée. C'est l'angle familial qui est en effet privilégié du début à la fin. Une mère qui se préoccupe de ses enfants, les protège, découvrant un jour avec effarement les dangers qui les menacent. Une femme qui se sent trahie par son mari. Bien sûr elle est meurtrie par cette révélation, et elle se souvient tout à coup du passé, remonte les dix dernières années de sa vie commune avec Matt, pour peser à travers chaque épisode important de celle-ci, si elle a eu effectivement affaire à un menteur, à un manipulateur, ou si au contraire son mari a pu changer et devenir un homme sincère. Et la réaction surprenante de Matt ajoute  un piment supplémentaire à ce roman, car l'espion, soudain démasqué et qui aurait pu être abattu par cette révélation, réagit avec panache et sauve son couple.


En proie au doute


Je me suis plongé avec délectation dans ce roman parce qu'il laisse en permanence le doute en place dans l'esprit de Vivian et par conséquent du lecteur que Karen Cleveland prend à témoin tout au long de son récit. Où est la vérité ? On attend avec impatience la fin du livre, et là, effectivement on ne sera pas déçu !!! Mais, il est impossible d'en parler sous peine de détruire tout suspense.

Une actualité brûlante


« Toute la vérité » est un roman qui parle de la manipulation au quotidien, de la difficulté d'échapper aux "services spéciaux", une fois qu'on est pris dans l'engrenage. Le livre met aussi en lumière l'éternelle guerre secrète entre Russes et Américains. C' est donc un livre qui tombe à point, au moment où l'actuel président des Etats-Unis ( Donald Trump) est lui même empêtré dans une accusation de collusion avec les Russes lors de la campagne présidentielle qui l'a porté au pouvoir face à Hillary Clinton. Ce roman n'y fait nullement allusion, mais il s'inscrit dans un contexte d'espionnage « moderne » où les nouvelles technologies et leur impact sur la politique internationale ont toute leur place.

Un roman absolument époustouflant, effrayant bien sûr, glaçant, et pourtant on espère une suite!

Date de publication du roman : 25 janvier 2018

vendredi 26 janvier 2018

3000 pages vues merci à tous !



Lancé le 16 décembre dernier, le blog "Chasseurs de Livres" que j'ai le plaisir de vous proposer pour parler en avant-première des nouveautés littéraires, va bientôt franchir en un peu plus d'un mois d'existence le cap symbolique des trois milles pages vues!

J'en suis particulièrement fier et je tiens à vous remercier pour votre intérêt et votre fidélité que j'espère ne pas décevoir.

Merci tout particulièrement à l'équipe NetGalley France, sans qui cette expérience n'aurait pas été possible bien entendu. Ma gratitude s'adresse aussi à tous les éditeurs qui m'ont fait confiance jusqu'ici pour me faire parvenir leurs tous derniers ouvrages avant leur parution. Par ordre alphabétique: Belfond, Calmann-Levy,  Fayard, Grasset, Michel Lafon, Robert Laffont, JC Lattès, Préludes, Stock. 

Ma surprise, je dois dire, a été de constater que pratiquement la moitié de la fréquentation du blog provenait d'Amérique du Nord. Je veux donc vous saluer, chères lectrices et chers lecteurs expatriés de l'autre côté de l'Atlantique, pour votre présence.

N'hésitez pas à me faire parvenir vos commentaires et vos critiques!

Merci!


et ne manquez pas ma prochaine chronique consacrée au roman époustouflant d'une ancienne analyste de la CIA Karen CLEVELAND "Toute la vérité"...


mardi 23 janvier 2018

L'atelier des souvenirs par Anne Idoux-Thivet



Grâce à Alice, autoentrepreneur qui intervient dans deux maisons de retraite de la Meuse, Georges et Elisabeth qui étaient amoureux l'un de l'autre lorsqu'ils étaient dans la Résistance, vont se retrouver et se marier soixante dix ans plus tard. Un atelier d'écriture mis en place par la jeune femme permet de les rapprocher enfin...D'une façon générale, les personnes âgées des deux établissements, inscrites dans l'atelier, sont ravies de cette expérience et se livrent totalement à l'exercice. Mais elles vont aller, de connivence , beaucoup plus loin. Elles vont en effet s'intéresser à la vie personnelle d'Alice, une jeune fille introvertie, qui a laissé passer le grand amour quelques années auparavant... Et entreprendre une démarche particulièrement inattendue.

Un regard bienveillant


J'ai trouvé ce roman original , d'abord publié en autoédition puis chez l'éditeur Michel Lafon, très beau, très sensible, très proche des gens dont il est question : les personnes âgées livrées à leur solitude des maisons de retraite, en particulier celles qui souffrent des maladies qu'on y rencontre le plus fréquemment ( la maladie d'Alzheimer notamment), mais aussi les personnels qui les encadrent et les accompagnent tous les jours.

Une écriture poétique


J'ai apprécié que l'auteur, Anne Idoux-Thivet utilise assez souvent le style épistolaire. Des lettres qui nous racontent aussi l'histoire, avec beaucoup de tendresse, parfois de mélancolie, et qui rendent le roman plus vivant. On est dans un récit très fluide, qui se lit facilement.

L'importance de l'écrit

Et si le message le plus important de ce roman était de nous faire ressentir l'importance de l'écrit pour échapper à la solitude, pour surmonter ses peines, ses désillusions, et faire face à la fuite du temps qui est notre lot commun ? De ce point de vue aussi, « l'atelier des souvenirs » est une belle réussite.

Date de publication du roman : 18 janvier 2018

lundi 22 janvier 2018

La fille sous la glace de Robert Bryndza



Un corps découvert dans un lac gelé à Londres, près d'un musée. Sous la glace. Celui d'une jeune fille, Andrea Douglas- Brown, dont le père est un riche industriel. L'enquête est confiée à Erika Foster, dont le mari est mort en service, quelque temps auparavant. La policière se voit confier cette première affaire dans un commissariat de Londres, où elle va devoir s'imposer face à certains de ses collègues qui ne vont lui faire aucun cadeau.


Une enquêtrice hors pair


J'ai aimé ce polar, certes très classique dans la forme, mais captivant, précis, crédible, très agréable à lire. Le personnage d'Erika est particulièrement attachant, et on la suit tout au long de son enquête semée d'embûches avec un intérêt soutenu car elle porte en elle des valeurs qui en font une héroïne exceptionnelle : un sens de l'observation hors pair, cela va de soi, mais surtout une persévérance à toute épreuve en dépit des pressions, des coups bas, des dangers... Elle forme, avec ses deux équipiers, Peterson et Moss, un trio qu'on aime voir évoluer tout au long du roman avec un sens de la solidarité qui est l'unique condition de la survie de chacun, et surtout d'Erika la courageuse, qui sait tirer parti de chaque situation sans jamais s'avouer vaincue...


Le décor londonien


L'action est entièrement située à Londres, et on découvre la capitale anglaise sous la neige, de quartier en quartier, avec beaucoup de plaisir. Cela pourrait parfois nous renvoyer à certaines descriptions de Dickens, s'il n'y avait des références évidemment tout à fait contemporaines aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux, à la police scientifique. D'un côté les quartiers riches où vit la famille de la victime, Andrea, et de l'autre un monde dominé par les trafics en tous genres et la prostitution. L'intrigue évolue dans le contexte très connu de l'exploitation des jeunes filles de l'Est attirées en Angleterre par une vie meilleure mais qui deviennent très vite la proie des proxénètes. Dans cette histoire les médias et la police collaborent, pour le meilleur, parfois pour le pire.


Un style alerte et efficace


Pas de fioritures dans la construction du roman qui est écrit d'un seul point de vue, à la troisième personne, avec toutefois quelques touches narratives à la première personne, soit quand il s'agit des souvenirs douloureux d'Erika, persécutée par la mort de son mari tout au long de l'enquête, soit des impressions de l'assassin ! C'est en effet toute l'habilité de l'auteur du roman, Robert Bryndza, que d'introduire dans le roman de courts chapitres où on voie évoluer le meurtrier, dont on ne connaîtra bien sûr l'identité qu'à la toute fin du livre.


Un vrai plaisir de lecture


Je vous conseille ce roman, à lire si possible près d'un bon feu, par temps de pluie ou de neige, évasion et suspense garantis, et en plus, il y aura une suite, nous dit l'auteur, que demander de mieux !

Date de publication du roman : 25 janvier 2018

jeudi 18 janvier 2018

Un autre Brooklyn de Jacqueline Woodson



Nous sommes dans les années 70. August a huit ans lorsqu'elle quitte le Tennesse pour Brooklyn. Vingt ans plus tard, alors qu'elle est devenue anthropologue et qu'elle revient à New-York à la mort de son père, la jeune femme se souvient avec tristesse et mélancolie de ce basculement entre deux mondes : elle qui vivait heureuse avec son père, sa mère et son frère, dans une ferme, est soudain projetée dans l'univers cosmopolite et violent de l'arrondissement le plus peuplé de New-York, Brooklyn. Mais c'est là qu'elle va aller à l'école et faire la connaissance de Silvia, Angela et Gigi, qui comme August ont la peau noire. Elles se construisent ensemble, attirées par la musique, la danse, la comédie, mais elles veulent aller vivre « ailleurs » pour inventer une autre Brooklyn... Dans les années soixante-dix, l'arrondissement new-yorkais n'est pas une fin en soi, un projet de vie envisageable pour ces quatre jeunes filles qui cherchent à vaincre la malédiction qui semble peser sur elles.

Un roman inclassable et poignant


J'ai eu un vrai coup de foudre pour ce roman inclassable et poignant, capable d'exprimer en peu de mots des sentiments profonds. Le poids le plus lourd à porter pour August est d'abord la mort de sa mère dans le Tenessee, qu'elle n'accepte pas. Il y a un déni douloureux et l'incapacité de faire le deuil jusqu'au jour où elle découvre l'urne funéraire ramenée par son père dans l'appartement de Brooklyn. Tout au long de ces pages, la peur des mauvaises rencontres ( drogués et pervers sont nombreux dans ce quartier de Bushwick où se déroule le roman) est exprimée avec force par l'auteur, mais aussi l'apprentissage de la solidarité envers les plus pauvres ( par exemple quand August et son frère viennent en aide aux enfants quasiment abandonnés à leur sort de la voisine.) « Un autre Brookyn » est aussi un roman initiatique où l'apprentissage de la vie passe bien sûr par la découverte de l'amour et de la sexualité, l'auteur décrivant « quatre jeunes filles toujours ensemble, d'une beauté stupéfiante ».


Une part d'autobiographie


Jacqueline Woodson signe ici son premier roman, paru aux Etats-Unis en 2016 et qui vient d'être édité chez Stock. Née dans l'Ohio, l'auteur a publié jusqu'ici des nouvelles principalement pour la jeunesse. Elle y est devenue célèbre, recevant le prestigieux National Book Award pour « Brown Girl Dreaming », une autobiographie. Beaucoup de détails du roman « Un autre Brooklyn » proviennent également de la propre vie de l'auteur, selon ses notes en fin d'ouvrage.


Un combat difficile


Ce qui ressort évidemment du magnifique roman de Jacqueline Woodson, c'est toute la difficulté pour une fille, et notamment une enfant de couleur, de faire son chemin dans l’Amérique des années 70-80. Le prix de la liberté est presque inaccessible, mais il faut toujours se battre et espérer.

Date de publication du roman : 3 janvier 2018

lundi 15 janvier 2018

Les rêveurs d'Isabelle Carré




On connaissait l'actrice Isabelle Carré, et on découvre ici l'auteure tout aussi talentueuse qui publie à 46 ans son premier roman. « Les rêveurs » est un ouvrage qui ressemble beaucoup à une autobiographie où Isabelle Carré nous parle « d'une enfance rêvée » à défaut de relater « une enfance de rêve ». Même si la part d'imagination reste palpable, au fil des pages.

Passé présent


J'ai aimé ce roman sincère, touchant, où l'on navigue entre le passé et le présent avec beaucoup d'aisance, sans être déboussolé par les changements d'époque et parfois de lieux. Le récit est consacrée à une famille qui passerait tout à fait inaperçue, si ce n'est qu'un jour la petite fille et ses deux frères apprennent de leur père qu'il est homosexuel.

De cette découverte brutale pour tout le foyer découlent bien des bouleversements, parfois extrêmement douloureux, voire périlleux. Isabelle Carré nous montre comment « la maison du bonheur » va cesser d'être ce refuge où l'on se sentait protégé, invincible. Mais la leçon de cette épreuve, c'est de ne jamais cesser d'espérer.

Le chemin de la liberté


L'auteur a expliqué dans une interview donnée à Léa Salamé sur France Inter avoir « écrit pour faire exister les enfants d'homo. » Et c'est bien ce qui se passe dans le roman, qui invite à suivre la petite fille, d'abord traumatisée puis qui va prendre son destin en main. La voici bientôt dans son parcours d'adolescente, puis d'adulte, et un jour elle devient une comédienne reconnue, récompensée, même si elle le nie : « Je suis une actrice connue qu'on ne connaît pas ». Il est pourtant clair que la réussite la plus éclatante est au rendez-vous dans la vraie vie pour Isabelle Carré qui a été plusieurs fois distinguée par des prix prestigieux ( dont un César de la meilleure actrice en 2003, puis deux Molière).

Les émotions, les surprises, les coups de théâtre se succèdent dans le roman, très inattendus parfois. On ne s'ennuie pas une seconde à la lecture de ces pages intimes, où il est clair qu'il faut savoir conquérir la liberté, quelles que soient les circonstances, les obstacles, qui pourraient nous barrer la route.

Date de publication du roman: 10 janvier 2018

jeudi 11 janvier 2018

Millenium Blues de Faïza Guène



Zounia, dite « Zouzou », est assistante de vie à Paris. Elle est née dans un milieu pauvre d'un mariage mixte entre une mère française et un père kabyle et fan à la fois de Youri Djorkaeff et de Zinedine Zidane. Sa meilleure amie, Carmen, plonge dans la déprime après avoir causé involontairement la mort d'une jeune femme dans un accident de la route. Zouzou, elle, paraît promise à filer le parfait amour, après sa rencontre avec Eddy, un jeune gitan qui veut devenir acteur. Une petite fille, Lila, naît de leur rencontre. Mais la vie réserve souvent des déconvenues...

J'ai découvert Faïza Guène en écoutant France Inter, où elle était reçue dans l'émission « Boomerang » d'Augustin Trapenard et parlait de son nouveau roman « Millenium Blues ». Un titre choisi parce que dans les années 90, à l'aube du nouveau millénaire, un opérateur téléphonique avait lancé le forfait illimité le soir et la nuit... Un titre symbole d'une époque dont l'auteur a gardé la nostalgie : fan des chansons du groupe Abba, Faïza Guène en a fait la bande son du roman, allant même jusqu'à traduire les paroles dans un français particulièrement poétique.

Une auteure prodige

 

Je ne m'étais pas souvenu que lorsqu'elle était encore au lycée, Faïza avait participé à un atelier d'écriture organisé par son professeur de français. Son texte était tellement beau que l'enseignant l'avait envoyé (à son insu!) chez Hachette et que l'éditeur avait décidé de faire terminer la rédaction à son auteur. Résultat : un contrat et 400 000 exemplaires vendus, selon Wikipédia. C'était en 2004 avec « Kiffe Kiffe demain », roman traduit en vingt-six langues.

Une tranche de vie sans artifices


J'ai vu dans « Millenium blues » un très joli roman, sans artifices, qui raconte la vie ordinaire d'une jeune fille de la « génération Y », avec émotion et sensibilité. J'ai été réceptif à un texte qui raconte à la fois une histoire intime, mais reste étroitement imbriqué avec les événements que nous avons tous vécus lors de ce changement de millénaire : la coupe du monde de football remportée par la France, la défaite de Lionel Jospin, le onze septembre, la canicule du siècle, etc...

Une musique un peu triste et désabusée


J'ai entendu une musique un peu triste et désabusée en tournant les pages de ce roman, avec quelques passages sublimes. Je retiendrais pour ma part le dialogue renoué entre le père et la fille, lorsque celui-ci décide enfin de se remarier, et que Zouzou l'encourage à le faire malgré ses réticences, allant jusqu'à affirmer qu'elle a « marié son père ».

Lisez ce livre, en réfléchissant à cette phrase de l'auteur lors d'une interview récente : « la littérature de banlieue n'existe pas. Quand on écrit, on met ses tripes sur la table, on ne se positionne pas par rapport à un territoire ».

Date de publication du roman : 10 janvier 2018

mardi 9 janvier 2018

Les flamboyantes de Robin Wasserman


Craig, un adolescent de l'équipe de basket d'une petite ville américaine, en Pensylvanie, a été retrouvé mort dans un bois,  gisant dans une mare de sang. L'enquête conclut au suicide. Dans son lycée, trois filles s'observent : Nikki Drumond, la copine du moment de Craig, très belle et qui est la « reine » de la classe, Lacey, un vrai garçon manqué audacieuse et rebelle, et Hannah, une fille effacée, pas très jolie et qui ne sort jamais du rang.

Je ne vous raconte pas la suite. C'est un des romans les plus dérangeants et les plus violents que j'ai pu lire récemment. Le récit est mené avec brio, ménageant le suspense de manière remarquable, avec plusieurs points de vue, mais principalement celui de Lacey et de Hannah qui devient « Dex ».

De quoi est-il question ? On pourrait répondre pudiquement d'une affaire de mœurs qui a mal tourné. Dépravation, violence, sexualité perverse, satanisme, tout y passe. Triste reflet d'une société en panne de sens, y compris peut-être dans sa littérature. Cependant, l'analyse psychologique des personnages est particulièrement saisissante et, il faut bien le dire, réussie.

Dieu est mort


Qu'est-ce qui a poussé l'auteur, Robin Wasserman, une romancière américaine de 39 ans, née en Pensylvanie et auteur de plusieurs romans pour adolescents à écrire une histoire aussi choquante qui baigne dans le « grunge » avec en bande son la musique de Nirvana ?  En toile de fond, il y a forcément  la dérive puritaine d'une certaine Amérique, contre laquelle Robin Wasserman fait réagir l'un de ses personnages les plus emblématiques du roman, Lacey. Deux adolescentes qui vont taguer en pleine nuit  le « centre de suivi des mineures enceintes » avec la célèbre citation de Nietzsche « Dieu est mort », et voilà sans doute comment l'auteur essaie de nous faire passer un des messages clefs de cette triste histoire.

Gratuité ?


Mais, cela ne m'enlève personnellement pas cette impression que le roman plonge ses lecteurs d'une manière beaucoup trop gratuite dans la violence et la provocation un peu vaine. En fait, chacun peut se faire sa propre idée, je ne crois pas que « Les Flamboyantes » soient un modèle de lecture à recommander. Mais il appartient à la production littéraire américaine du moment, il faut aussi en tenir compte et voir l'accueil du public français à cette production tout de même très nihiliste, très sombre en fin de compte.

Date de sortie du livre : 17 janvier 2018