Après avoir été
embauchée dans une société à Paris, chargée d'établir des
statistiques sur les personnes décédées, Eva apprend rapidement à
connaître son patron, un obsédé de l'ordre, du classement, et par
ailleurs un homme pervers et qui passe une partie notable de son
temps à espionner ses employé (e)s, à faire des fiches sur eux, à
les photographier à leur insu... Elle devient amie avec sa collègue
de bureau, Marie-Claude, gentille mais intrusive, puis rencontre
fortuitement Paul, par « collision » écrit Emmanuelle Lambert ( au
propre et au figuré). C'est le début d'une aventure, mais un jour,
après un dîner beaucoup trop arrosé, Eva décide de tout quitter,
amant, amie, travail, appartement, pour une nouvelle vie dont on
connaîtra la réalité plus qu'étonnante seulement au moment du
dénouement final.
Une peinture sombre de la vie
J'ai vu dans ce
court mais poignant roman une peinture sombre de la vie: celle du
renoncement, de « la désertion » au sens psychologique du terme,
comme l'indique le titre tout à fait adapté à ce récit. Eva n'en
peut plus de sa vie où tout lui déplait, dans une société
technologique et déshumanisée, qui perd ses repères et voit surgir
les menaces les plus sévères (il s'agit de notre époque puisque
les récents attentats de Paris par exemple sont mentionnés), avec
un travail absurde et dépersonnalisé, des dîners convenus et sans
intérêt où les protagonistes n'ont rien à dire, ou si peu, sauf
des banalités... Mais lorsqu'on prend ce genre de distance avec les
autres, il n'y a plus grand monde pour vous aider : « Je ne peux pas
t'accompagner dans ce voyage », finit par dire Marie Claude à Eva,
un soir de cuite.
Un roman touchant
C'est un roman qui
m'a touché parce qu'il m'a paru hors norme, inclassable, et
tellement dérangeant. On se met à la place d'Eva, forcément et on
souffre avec elle. Voici une jeune femme qui remet en cause sa vie
monotone et insipide pour une aventure toute intérieure, à la fois
dévastatrice et libératrice. Elle lâche prise avec son quotidien
qu'elle rejette , et s'invente un autre univers où il y a place non
plus pour les vivants mais pour les morts. Mais, si en définitive,
au bout du tunnel il y avait quand même une petite lumière ?
Emmanuelle Lambert finit par nous la laisser entrevoir...
Une écriture originale
Le roman est écrit
avec plusieurs points de vues successifs qui sont ceux des quatre
personnages principaux. On avance ainsi dans l'histoire avec envie,
car le suspens est bien ménagé. Une sorte de contre-enquête. Le
style est excellent, pur et ciselé. Un vrai modèle d'écriture. Le
seul bémol serait le manque d'informations donné sur les origines
familiales, sur l'identité d'Eva qui nous donneraient à mieux
comprendre le personnage qu'elle est devenue, ballotée dans cette
vie sans relief qu'on peut imaginer à Paris ou dans une autre grande
ville. En fin de compte on aurait aimé en savoir un peu plus, ses
goûts personnels, littérature, musique, cinéma, voyages etc...
L'obsession de la mort
Le livre est écrit
comme si Eva avait dépassé le cap d'une vie normale, et décidé de
vivre à trente ans dans l'obsession de la mort. Une seule citation
permet peut-être de résumer la pensée de l'auteur : «
accepteriez-vous vraiment de vivre cette vie-là si au bout du compte
vous n’étiez pas sûrs que vous allez mourir ? ».
Je recommande ce
livre à tous ceux qui veulent découvrir un auteur de talent, même
si son propos ici n'est pas enchanteur...
Date de publication du roman : 17 janvier 2018
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