jeudi 1 février 2018

La désertion d'Emmanuelle Lambert



Après avoir été embauchée dans une société à Paris, chargée d'établir des statistiques sur les personnes décédées, Eva apprend rapidement à connaître son patron, un obsédé de l'ordre, du classement, et par ailleurs un homme pervers et qui passe une partie notable de son temps à espionner ses employé (e)s, à faire des fiches sur eux, à les photographier à leur insu... Elle devient amie avec sa collègue de bureau, Marie-Claude, gentille mais intrusive, puis rencontre fortuitement Paul, par « collision » écrit Emmanuelle Lambert ( au propre et au figuré). C'est le début d'une aventure, mais un jour, après un dîner beaucoup trop arrosé, Eva décide de tout quitter, amant, amie, travail, appartement, pour une nouvelle vie dont on connaîtra la réalité plus qu'étonnante seulement au moment du dénouement final.

Une peinture sombre de la vie


J'ai vu dans ce court mais poignant roman une peinture sombre de la vie: celle du renoncement, de « la désertion » au sens psychologique du terme, comme l'indique le titre tout à fait adapté à ce récit. Eva n'en peut plus de sa vie où tout lui déplait, dans une société technologique et déshumanisée, qui perd ses repères et voit surgir les menaces les plus sévères (il s'agit de notre époque puisque les récents attentats de Paris par exemple sont mentionnés), avec un travail absurde et dépersonnalisé, des dîners convenus et sans intérêt où les protagonistes n'ont rien à dire, ou si peu, sauf des banalités... Mais lorsqu'on prend ce genre de distance avec les autres, il n'y a plus grand monde pour vous aider : « Je ne peux pas t'accompagner dans ce voyage », finit par dire Marie Claude à Eva, un soir de cuite.


Un roman touchant


C'est un roman qui m'a touché parce qu'il m'a paru hors norme, inclassable, et tellement dérangeant. On se met à la place d'Eva, forcément et on souffre avec elle. Voici une jeune femme qui remet en cause sa vie monotone et insipide pour une aventure toute intérieure, à la fois dévastatrice et libératrice. Elle lâche prise avec son quotidien qu'elle rejette , et s'invente un autre univers où il y a place non plus pour les vivants mais pour les morts. Mais, si en définitive, au bout du tunnel il y avait quand même une petite lumière ? Emmanuelle Lambert finit par nous la laisser entrevoir...

Une écriture originale


Le roman est écrit avec plusieurs points de vues successifs qui sont ceux des quatre personnages principaux. On avance ainsi dans l'histoire avec envie, car le suspens est bien ménagé. Une sorte de contre-enquête. Le style est excellent, pur et ciselé. Un vrai modèle d'écriture. Le seul bémol serait le manque d'informations donné sur les origines familiales, sur l'identité d'Eva qui nous donneraient à mieux comprendre le personnage qu'elle est devenue, ballotée dans cette vie sans relief qu'on peut imaginer à Paris ou dans une autre grande ville. En fin de compte on aurait aimé en savoir un peu plus, ses goûts personnels, littérature, musique, cinéma, voyages etc...

L'obsession de la mort


Le livre est écrit comme si Eva avait dépassé le cap d'une vie normale, et décidé de vivre à trente ans dans l'obsession de la mort. Une seule citation permet peut-être de résumer la pensée de l'auteur : « accepteriez-vous vraiment de vivre cette vie-là si au bout du compte vous n’étiez pas sûrs que vous allez mourir ? ».

Je recommande ce livre à tous ceux qui veulent découvrir un auteur de talent, même si son propos ici n'est pas enchanteur...

Date de publication du roman : 17 janvier 2018

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