samedi 24 février 2018

La fille du roi des marais de Karen Dionne



Dans le Michigan, une fillette grandit au milieu des marais, élevée (si l'on peut dire) par un père issu de la race indienne, violent et déséquilibré, et par une mère de descendance finlandaise. Helena, c'est le prénom de la fillette ( la narratrice du roman) apprend un jour qu'elle est l'enfant d'un viol, que sa mère a été kidnappée à l'adolescence, et retenue prisonnière pendant quatorze ans dans une cabane perdue loin de toute civilisation. Le roman commence le jour où le père, finalement emprisonné, a réussi à s'évader et on sait très rapidement qu'il va tout faire pour retrouver sa fille qui l'a envoyé en prison, et régler ses comptes avec elle... Helena, qui est désormais mariée, avec deux petites filles dans son foyer, va tout faire pour retrouver son père avant la police. Et elle prend la direction des marais.

Un récit haletant et incroyablement captivant

Ce roman de Karen Dionne m'a happé dès les premières pages, et le suspense est présent tout au long du récit, sans répit. Il est écrit avec un seul point de vue, celui d'Helena, mais il y a alternance de deux histoires : celle de la mère inquiète pour sa vie et celle de son mari, de ses enfants; et puis, en même temps, l'histoire de l'enfance d'Helena liée aux souvenirs de la vie d'ermite qu'elle a du mener avec son père ( mais aussi sa mère) pendant quatorze ans. Aucun contact avec le monde contemporain, toutes ses connaissances sont liées à la pratique de la chasse, de la pêche, à la cueillette des fruits. Seule, une collection de « National Geographic » conservée par sa mère lui a permis d'avoir un semblant d'éducation, avec un décalage de quarante ans sur l'époque où elle vit.

Une relation complexe fille- père

Même si le père, nommé Jacob, est un monstre, Helena conserve de sa relation avec cet homme de bons souvenirs d'enfance. Sans cesse, elle se pose la question de savoir si cet homme l'a aimée en tant que fille, et parfois elle a pu douter de son mauvais fonds. Cette emprise psychologique qu'il exerce sur sa fille est un vrai point fort de ce livre. Du grand art !

Un conte d'Andersen librement adapté

Ce roman intitulé « La fille du roi des marais » fait référence au conte d'Andersen « la fille du roi de la vase » qui sert d'ailleurs de fil conducteur à ce thriller. Je ne vois pas de point faible à vrai dire dans le roman, on se laisse conduire du début à la fin sans le moindre moment de lassitude.

dimanche 18 février 2018

La Maison à droite de celle de ma grand-mère de Michaël Uras



Direction la Sardaigne où débarque Giacomo, le narrateur unique du roman, pour embrasser sa grand-mère mourante à l'hôpital dans l'agglomération où vivent ses parents. Giacomo est traducteur littéraire et il travaille sur « Moby Dick », il doit remettre son texte, pressé par son éditeur. Mais le séjour sur son île natale ralentit un peu les choses... Car il retrouve les parfums et les couleurs de l'enfance, grâce à ce retour au pays. Ses parents, sa mère ( une vraie « Mamma » possessive et aimante), ses amis, dont un certain « Capitaine ». Et puis il va faire la rencontre d'une jeune doctoresse qui soigne sa grand-mère à l'hôpital, Alessandra...


Un roman intimiste et attachant


J'ai trouvé ce roman intéressant car il raconte surtout le parcours intérieur d'un jeune homme qui retrouve non seulement ses racines, mais qui a sur le cœur un très lourd secret. La manière dont son histoire est transmise au lecteur est une des qualités du livre : on apprend peu à peu les choses, on se concentre peut-être d'abord sur cette Sardaigne mythique qu'on aimerait encore mieux connaître, mais ce roman n'est pas le Guide du Routard. Ecrit avec humour, il cache bien son jeu jusqu'à la révélation finale.

Un anti-héros


Le personnage central, Giacomo, est un anti-héros. Pas question de se mettre en valeur, ce n'est pas lui qui va commettre un péché de vanité. Non, il se décrit lui même comme un footballeur médiocre quand il était plus jeune, et même son travail de traducteur, dont il est très fier, ne le couvre pas de gloire, tout juste décroche-t-il un article dans le journal local à l'occasion de son retour en Sardaigne. Mais ce n'est déjà pas si mal...

Une fin improbable mais décevante


Bien sûr, je ne parlerai pas dans le détail de la manière dont s'achève l'histoire, mais j'avoue qu'elle m'a un peu déçu. Il y a un côté « mauvaise blague » qui aurait pu être évité. Mais cela correspond bien au ton général du roman. Au lecteur d'imaginer ce qui va se passer... après ! Pas sûr tout de même que l'on ait envie de prendre un billet pour la Sardaigne, en lisant ce livre. On sent bien qu'il y a beaucoup, beaucoup trop de touristes...

jeudi 15 février 2018

Bluff de David Fauquemberg



L'Anchorage Café, port de Bluff, Nouvelle-Zélande. C'est là que commence l'histoire. Elle réunit trois hommes qui ne se ressemblent en rien : un voyageur français, dit « Le Frenchie », un vieux pêcheur maori, Sonny Rongo Walker, qui est aussi capitaine et propriétaire d'un bateau de pêche à moteur, et un colosse venu de Tahiti où l'a déniché Walker. Il s'appelle Tamatoa. Le vieux capitaine repère rapidement le « Frenchie » dans le café, et lui propose de l'embaucher à bord du « Torua » pour aller pêcher la langouste. Tout commence bien, les premières sorties sont faciles, la mer est assez calme, la pêche assez fructueuse. Puis les langoustes viennent à manquer. Alors arrive la grande expédition, où il faut aller chercher très loin les pêches miraculeuses du précieux crustacé. Sauf que le matériel radio tombe en panne, la plus grosse tempête jamais vue dans les mers australes se déchaîne, c'est le drame...


Un superbe hommage aux pêcheurs de Polynésie


J'ai ressenti ce roman épique, écrit par un auteur français ( ce serait lui le « Frenchie »?), comme un vibrant plaidoyer pour la culture des Maoris, des Tahitiens, de tous ces peuples de la mer qui se sont avérés depuis des millénaires comme des navigateurs hors pair grâce à la science des étoiles. Pas besoin à ceux-là, aujourd'hui en voie de disparition, d'instruments sophistiqués pour naviguer, ni de bateaux puissants gourmands en énergie et pollueurs. Non, leurs pirogues taillées dans les « arbres à pain » ont fait sacrément leurs preuves depuis toujours. Pour étayer cet hommage, David Fauquemberg émaille son roman de quatre portraits qui viennent interrompre le récit. Un philosophe « Papa Marii », un poète Hone, un navigateur Mau, et un autre navigateur « Tevake » à qui appartient le dernier mot.


Quelques longueurs dans le récit


Aussi nobles soient les intentions de l'auteur, force est de constater quelques longueurs dans ce roman où l'on devine assez facilement ce qui va se passer. Donc un suspense limité, on n'est pas dans un vrai thriller. Mais ce n'est sans doute pas ce qu'a recherché David Fauquemberg, on peut sur ce point être plutôt indulgent.


La marque du vécu


Il est incontestable en revanche que l'auteur connaît bien son sujet. On imagine qu'il a du longuement parcourir cette Océanie aux îles mystérieuses, aux ciels flamboyants, aux falaises abruptes. Et rencontrer ces hommes qui ont su transmettre leur culture à leurs enfants, pendant des siècles avant l'inévitable exode qui frappe aussi ces contrées de la planète, comme on peut le constater dans nos campagnes européennes. Alors oui, « Bluff » est un beau récit pour un hommage grandiose aux coureurs d'étoiles sous les ciels d'Océanie...

mardi 6 février 2018

Un regard de sang de Lina Meruane




Une étudiante chilienne, Lina, qui prépare une thèse à New-York, devient pratiquement aveugle au cours d'une soirée où elle fait la fête en compagnie de son fiancé Ignacio. Les veines de ses rétines ne résistent pas à la pression sanguine, elle sent ses yeux se remplir d'hémoglobine, depuis longtemps déjà elle savait sa vue menacée. L'ophtalmologue Lekz, à New-York, est réputé, et la prend en charge, car elle ne veut pour rien au monde être soignée ailleurs, et surtout pas au Chili, qui est pourtant son pays natal. Tout le récit est construit autour des conséquences de cette maladie angoissante, qui va mettre à rude épreuve son entourage et lui donner le courage pourtant de se battre, et de ne pas se laisser déborder par l'apitoiement de sa famille en particulier.

Une écriture bouleversante


Ce récit est particulièrement touchant, en raison de son écriture qui nous bouleverse de vérité. Tout ce qui se passe désormais dans la vie de Lina est lié à ses perceptions auditives ou au toucher, aux odeurs, bref tous les sens qui restent intacts. La jeune étudiante garde ainsi la possibilité d'écouter des romans enregistrés, elle demeure aussi en contact avec sa directrice de thèse qui lui suggère de dicter devant un magnétophone ses propres projets d'écriture auxquels elle a commencé à renoncer.

Un aller retour désabusé New-York-Santiago-New-York


Le retour au pays de Lina pendant quelques jours nous offre un regard désabusé sur ce qu'est devenu le pays, sa pauvreté, les conditions inconfortables où sa propre famille vit, alors que ses parents sont tous les deux médecins. Mais c'est en retrouvant l'un de ses frères qu'elle réalise que l'apitoiement de son entourage est davantage pour elle un handicap qu'un soulagement. Mieux vaut repartir le plus tôt possible pour l'Amérique du Nord... Ignacio, qui l'a accompagnée, et ne la quitte plus ( le couple a emménagé dans un nouvel appartement) subit lui aussi la situation, ne peut guère apporter de réconfort à Lina, malgré tous ses efforts.

La description lucide et pertinente du handicap


Ce très beau livre est une description réussie du handicap, surtout lorsqu'il surgit brutalement dans une vie. Tout le récit est un monologue, où Lina exprime ses doutes, ses peurs, ses angoisses. A lire, absolument, pour découvrir cette écrivaine chilienne talentueuse, née en 1970 , et qui enseigne aujourd'hui la littérature latino-américaine à New-York University.

date de publication du roman:  10 janvier 2018

jeudi 1 février 2018

La désertion d'Emmanuelle Lambert



Après avoir été embauchée dans une société à Paris, chargée d'établir des statistiques sur les personnes décédées, Eva apprend rapidement à connaître son patron, un obsédé de l'ordre, du classement, et par ailleurs un homme pervers et qui passe une partie notable de son temps à espionner ses employé (e)s, à faire des fiches sur eux, à les photographier à leur insu... Elle devient amie avec sa collègue de bureau, Marie-Claude, gentille mais intrusive, puis rencontre fortuitement Paul, par « collision » écrit Emmanuelle Lambert ( au propre et au figuré). C'est le début d'une aventure, mais un jour, après un dîner beaucoup trop arrosé, Eva décide de tout quitter, amant, amie, travail, appartement, pour une nouvelle vie dont on connaîtra la réalité plus qu'étonnante seulement au moment du dénouement final.

Une peinture sombre de la vie


J'ai vu dans ce court mais poignant roman une peinture sombre de la vie: celle du renoncement, de « la désertion » au sens psychologique du terme, comme l'indique le titre tout à fait adapté à ce récit. Eva n'en peut plus de sa vie où tout lui déplait, dans une société technologique et déshumanisée, qui perd ses repères et voit surgir les menaces les plus sévères (il s'agit de notre époque puisque les récents attentats de Paris par exemple sont mentionnés), avec un travail absurde et dépersonnalisé, des dîners convenus et sans intérêt où les protagonistes n'ont rien à dire, ou si peu, sauf des banalités... Mais lorsqu'on prend ce genre de distance avec les autres, il n'y a plus grand monde pour vous aider : « Je ne peux pas t'accompagner dans ce voyage », finit par dire Marie Claude à Eva, un soir de cuite.


Un roman touchant


C'est un roman qui m'a touché parce qu'il m'a paru hors norme, inclassable, et tellement dérangeant. On se met à la place d'Eva, forcément et on souffre avec elle. Voici une jeune femme qui remet en cause sa vie monotone et insipide pour une aventure toute intérieure, à la fois dévastatrice et libératrice. Elle lâche prise avec son quotidien qu'elle rejette , et s'invente un autre univers où il y a place non plus pour les vivants mais pour les morts. Mais, si en définitive, au bout du tunnel il y avait quand même une petite lumière ? Emmanuelle Lambert finit par nous la laisser entrevoir...

Une écriture originale


Le roman est écrit avec plusieurs points de vues successifs qui sont ceux des quatre personnages principaux. On avance ainsi dans l'histoire avec envie, car le suspens est bien ménagé. Une sorte de contre-enquête. Le style est excellent, pur et ciselé. Un vrai modèle d'écriture. Le seul bémol serait le manque d'informations donné sur les origines familiales, sur l'identité d'Eva qui nous donneraient à mieux comprendre le personnage qu'elle est devenue, ballotée dans cette vie sans relief qu'on peut imaginer à Paris ou dans une autre grande ville. En fin de compte on aurait aimé en savoir un peu plus, ses goûts personnels, littérature, musique, cinéma, voyages etc...

L'obsession de la mort


Le livre est écrit comme si Eva avait dépassé le cap d'une vie normale, et décidé de vivre à trente ans dans l'obsession de la mort. Une seule citation permet peut-être de résumer la pensée de l'auteur : « accepteriez-vous vraiment de vivre cette vie-là si au bout du compte vous n’étiez pas sûrs que vous allez mourir ? ».

Je recommande ce livre à tous ceux qui veulent découvrir un auteur de talent, même si son propos ici n'est pas enchanteur...

Date de publication du roman : 17 janvier 2018